La revendication de la justice est aujourd’hui au cœur de la société sénégalaise. Elle envahit l’opinion, son vocabulaire inonde le discours politique. Cette demande se traduit par une montée en puissance des juges, une multiplication des actions en justice et par une réflexion renouvelée sur les valeurs de la justice.
Le renouveau d’une justice plus libre et plus responsable devient une exigence citoyenne.Com
me naguère la politique, la justice actuellement est l’affaire de tous. Elle est attendue pour incarner cette rupture tant souhaitée par les Sénégalais.
Son évolution coincïde avec le mouvement initié dans le cadre de la moralisation de la vie po- litique qui donne un rôle dominant à la reddition des comptes publics.
La classe politique, à travers « la traque des biens mal acquis », est la principale victime d’une suspicion judiciaire accrue.
Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur l’ensemble des dirigeants. Nous appelons ardemment à une appréciation prudente des choses, à une certaine sagesse.
Nous ne devons pas non plus céder ni à la clameur publique ni aux tentatives populistes.
Passionner inutilement le débat le plus souvent par des comportements grégaires engendre les excès d’une surpolitisation. Chacun sait qu’à un moment donné, il conviendra d’analyser l’origine des accusations et leur substance.
La justice montrera alors son véritable pouvoir : pouvoir de décider du vrai et du faux, de fai- re ou de défaire, de fustiger ou de laver tout soupçon.
Mais il demeure sûr et certain, que s’agissant de l’argent public, le peuple, hausse maintenant son niveau d‘exigence.
Si pendant longtemps, les Sénégalais ont assisté au laisser-faire, laisser-passer, voire encourager le refus de dépassement moral et éthique, l’éloignement des comportements habituels, l’affaissement de la rigueur, l’amenuisement de l’effort et de la réflexion et l’épanouissement de l’impunité, ils n’entendent plus se satisfaire de cette irresponsabilité destructrice.
Ainsi, la société civile se mobilise bruyamment dans le combat pour la transparence et la bon- ne gouvernance, encouragée le plus souvent par la population.
Au-delà de l’adhésion des citoyens dans une démocratie d’opinion, il y a la nécessité de la vérité judiciaire
Sur toutes ces questions touchant aux biens publics, nos compatriotes préfèrent un vrai débat qui fait des vagues à la tranquillité de la bonne conscience.
Dans le pays, un murmure populaire annonce le frémissement du temps qui rappelle qu’il n’y a pas de morale sans justice.
Fort heureusement, certaines personnes concernées par les audits clament à haute voix défenfendre leur honneur que de se soustraire aux fourches caudines de la justice par la transhumance ou la négociation d’une reddition.
Si personne ne craint donc que le passé ne vienne submerger les bords du présent, l’exercice de vérité ne serait pas vain.
Finalement, nous sommes rassurés. L’énergie des commencements ne s’étiole pas. Le triste parfum des années 80 enterrant un projet-mort-né: la Cour contre l’Enrichissement Illicite ne serait qu’un mauvais souvenir.
Mais le besoin de justice doit nécessairement s’articuler autour de deux principes fonda- mentaux : l’indépendance de la justice et l’impartialité de l’Etat.
L’indépendance de la justice consacrée par la Constitution et une multitude de normes inter- nationales (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Charte Africaine des Droits de l’Homme….) est un sujet passionnant et polémique dans un Etat de droit. Elle est à chaque fois pointée du doigt par la presse et l’opinion publique.
En vertu de la séparation des pouvoirs, le juge n’a rien à attendre ou à redouter de personne.
Le magistrat au rang des institutions exerce un pouvoir. Il a ce plaisir aristocratique de déplaire.
Si nous voulons toutefois que la justice soit juste, il faut que son pouvoir soit juste et que la responsabilité soit le prolongement de son indépendance.
Des obstacles subsistent encore à l’effectivité de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Nous pouvons citer le Conseil Supérieur de la Magistrature et le Parquet du fait de leur organisation et de leurs modalités de fonctionnement.
Concernant le Ministère public, hormis qu’il doit communiquer avec circonspection, une réforme profonde est nécessaire pour accroître son indépendance.
Il est peut-être souhaitable que les Parquets soient placés sous l’autorité d’un Procureur Général National bénéficiant d’un statut le mettant à l’abri des aléas politiques. Des pays comme l’Espagne, le Portugal et les Pays Bas ont adopté ce système judiciaire. Les Parquets restant hiérarchisés pour le maintien indispensable de l’unité nationale ne relèveront plus d’un membre du gouvernement.
Cela n’empêchera pas tout pouvoir en exercice d’appliquer sa politique pénale.
D’autre part, l’impartialité de l’Etat, forme de neutralité, d’équité et d’objectivité, suppose l’absence de parti pris du pouvoir.
Les mêmes règles doivent s’appliquer à tous les citoyens, quelles que soient leurs situations ou leurs opinions. Plus par efficacité que par vertu.
Le développement irrépressible du droit nécessite d’assurer l’égalité des justiciables qui com- mande que les puissants soient jugés comme des humbles. Dans un souci d’égalité, on ne peut pas soustraire quiconque à la justice.
Rien de plus méprisable que les chasses à l’homme, la soudaineté dont certaines affaires sont traitées et d’autres négligées voire oubliées.
Il est fondamental de restaurer la justice dans l’Etat pour éviter de prêter le flanc aux critiques d’une certaine opinion publique qui croit que la justice est sélective, que les logiques de clans ont cours et que l’Etat à ses sommets serait devenu la créature des partis politiques.
Face à telles critiques, la République doit admettre qu’une aboulie serait dévastatrice pour la parole politique. Elle ne servirait que les extrêmes.
Aujourd’hui, la boîte de pandore est ouverte. Le pouvoir doit intégrer nécessairement cette idée que toute action est manichéenne.
Il lui reste de choisir d’être plus actif et affirmatif pour être en cohérence avec sa philosophie de rupture. Les institutions de contrôle et de répression font légion (OFNAC, IGE, CENTIF, Cour des Comptes)
Si rien n’est plus méprisable que les chasses à l’homme, rien n’est plus également détestable que le mensonge des responsables pour raison personnelle quand ils ont eu la charge de l’ar- gent public en tentant d’abuser le peuple avec autant de légèreté.
Occuper une fonction à caractère public suppose désormais une réflexion scrupuleuse de la part de l’intéressé. En effet, il aura à rendre compte de ses actes. A placer sa responsabilité au sens étymologique du mot : « être responsable, c’est répondre ».
Après le multipartisme intégral, puis la banalisation des alternances politiques, voici venue la troisième révolution démocratique et citoyenne : le temps de la bonne gouvernance (institutionnelle, économique, financière…).
Nous avons là une chance à saisir. Il nous appartient de projeter nos regards de citoyens sénégalais sur notre institution judiciaire à condition qu’elle soit indépendante, moderne, accessible et capable de répondre à nos besoins dans des délais raisonnables.
Nous pouvons croire qu’il existe au Sénégal, des magistrats c’est-à-dire des hommes et des femmes qui savent que nous luttons sans exception pour notre République, sa démocratie, sa liberté. Car dans un pays qui n’est pas libre, il n’y a pas ni droit, ni morale.
Pour être toujours plus novateur, compétitif et attirant, le Sénégal ne peut continuer à faire l’économie d’un débat global et sérieux sur l’indépendance de la justice et l’impartialité de l’Etat.
Mamadou DIALLO
Avocat au Barreau de Paris
docteur en droit
Auteur de Bal d’Afrique(théâtre)
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